Les évasions particulières est un livre de Véronique Olmi, auteure également de Bakhita (finaliste du Prix Fnac, prix Goncourt et Goncourt des lycéens). J’ai d’abord été interpellée par le titre du livre : à la fois poétique et un peu hermétique, il n’annonce rien de ce qui va suivre dans les 7 parties qui le composent ; laissez-moi donc vous en résumer l’histoire.
Ce roman dépeint la vie de trois sœurs dans les années 1970, nées dans la ville d’Aix-en-Provence. D’origine modeste, la famille est avant tout, comme toute famille, soudée et pleine de secrets qui se dévoileront au fur et à mesure des pages tournées. Les trois jeunes filles ne se ressemblent que dans l’immensité de leurs rêves et leur désir de les réaliser, elles sont autrement bien différentes : l’aînée veut devenir actrice à Paris, la seconde tente de franchir les limites imposées aux femmes à cette époque, la benjamine enfin cherche la beauté du monde dans la musique, mais surtout dans le silence. Cette saga familiale se poursuit jusqu’à la nuit du 10 mai 1981, à l’aube d’une ère nouvelle pour la France et sa société.
Entre-temps on y découvre des personnages attachants, des scènes de vie quotidienne entre Aix-en-Provence, Neuilly-sur-Seine, Paris, Villers-sur-Mer et des moments grandioses, des douleurs et des joies, dignes d’un roman d’apprentissage. On y découvre également la capitale à travers les yeux de l’aîné, la quête de l’amour et de la connaissance à travers ceux de sa cadette et la recherche de la beauté dans les expériences de la benjamine. Sabine, Hélène et Mariette nous entraînent dans leurs questionnements de jeunes filles et jeunes femmes dans une époque tumultueuse et dans leur quête d’une vie meilleure que celle de leurs parents. Car si ceux-ci sont attachants, ils sont également pétris des contradictions d’une époque qui ne sait plus situer ses valeurs : une mère qui n’a jamais vécu que pour ses filles et qui, celles-ci devenues adultes, doit se (re)trouver, seule, et se confronter à son éducation catholique qui ne lui permet pas de répondre à toutes les épreuves qu’elle traverse ; un père, très croyant et aimant, qui cherche à se situer dans la vie de ces femmes qui se trouvent ailleurs que dans le patriarcat.
Le roman aborde ainsi des sujets comme l’amitié, la famille, l’avortement, l’amour, la valeur du travail dans la société et la place des femmes dans toutes ces questions.

Ce livre est avant tout, selon moi, un récit de l’émancipation, plus que de l’évasion, dans toutes ses formes. Tout d’abord émancipation vis-à-vis des générations précédentes (des parents en l’occurrence) qui ne comprennent pas ou plus les rêves et désirs des jeunes femmes d’une nouvelle époque. Émancipation également vis-à-vis de sa classe, moyenne et provinciale : Hélène a en partie été élevée par son oncle et sa tante, bourgeois de Neuilly et peine parfois à faire coïncider ces deux identités familiales. Sabine cherche à s’échapper à Paris, dans une vie d’artiste, bien différente de la vie de son HLM d’enfance. Ce récit est enfin et surtout un récit de l’émancipation féminine dans toutes ses dimensions puisqu’il montre les nouveaux choix qui s’offrent aux femmes au cœur des années 1970 : le travail, l’amour, le corps sont des terrains d’exploration pour ces femmes qui repoussent les limites auparavant imposées par la société. S’il propose des moments d’évasion dans son aspect romanesque, le titre manque selon moi l’évocation de la douleur associée à l’émancipation et que l’on ressent à la lecture. L’évasion est plus poétique, l’émancipation plus cruelle car elle ne laisse personne indemne, ni celui qui s’émancipe, ni celui qui entrave : et c’est ce que ce roman nous montre. Tout le monde est gagnant, au prix de sacrifices de soi ou des siens. Ce livre est une ode à la liberté, un roman pour s’évader, certes, mais sans échapper aux coûts de celle-ci.
Pourquoi ces évasions sont-elles alors « particulières » comme l’indique le titre ? Après avoir posé ce roman il est difficile de comprendre en quoi les évasions racontées sont particulières, tellement on y perçoit celles de toute une génération, animées des mêmes combats, des mêmes idéaux, des mêmes rêves, encore maintenant, à une époque bien différente. Et pourtant, au-delà de cet aspect universel qui caractérise tout bon roman, l’auteur nous invite à vivre et à cerner les différentes personnalités et aspirations des différents personnages principaux qui cultivent une individualité bien particulière à chacun, malgré leur éducation commune.
Je ne peux que recommander la lecture de ce livre qui nous fait voyager dans le temps et nous place dans les combats d’une époque particulièrement intéressante, très liés à des enjeux contemporains, que l’on aborde alors d’un regard différent. La perspective romanesque et les personnages nous font (re)vivre en effet une période historique, et nous permettent de remettre en perspective les débats d’aujourd’hui. Je vous assure que les pages se tournent toutes seules, au rythme des aventures de Sabine, Hélène et Mariette !
Les évasions particulières, Véronique Olmi – Albin Michel, 2020.